La rencontre humaine reste le point de friction à l’ère du voyage sur mesure. Malgré les avancées technologiques, la personnalisation des circuits n’est pas synonyme de l’authenticité. On confond la facilité d’usage et le sens d’un voyage.
Innovation technologique qui fait croire que l’on a l’accès à tout
L’engouement pour le voyage personnalisé s’affirme depuis l’apparition des Marco&Vasco et Evaneos. Les progrès sur le Web ont façonné radicalement le paysage de ce marché. Désormais, tous les acteurs peuvent prétendre être spécialistes du voyage sur mesure
Les plateformes nous facilitent la vie en fournissant des réponses précises via un algorithme sophistiqué.
- Date de départ
- Villes d’étapes
- Types d’hébergement
- Plan de repas
- Choix d’activité
Pour tout cela, il nous faut une base de données fournie essentiellement par des acteurs locaux. Chez Evaneos, les réceptifs font ce travail. Rencontre humaine ou pas, ça dépend du goût du voyageur et de la force de proposition du réceptif. Et au final, plusieurs voyages sur mesure ont un contenu très similaire. J’ose même dire que certains programmes sont impersonnels.
Au coeur du sur mesure, les touristes continuent à enchaîner les monuments, photographier des spots touristiques. Certains ne font que l’auto-tour sur mesure dans le but de couper toutes les dépenses. Je me demande comment on peut vivre une expérience immersive dans un pays sans accompagnement du guide, et sans partage en profondeur avec la population locale. J’ose dire qu’il y en a qui s’en fichent complètement de la rencontre humaine ! Pour pas mal de gens, l’importance, c’est « d’avoir fait » telle destination, et non « de l’avoir vécue ». J’ai fait remarquer ce phénomène dans une entrevue avec Clo du blog Évasions Gourmandes
Voilà pourquoi le sur mesure à l’Evaneos, ne couvre pas toujours le fond du voyage. Elle est née pour répondre à un marché potentiel : le tourisme de masse du sur mesure. On consomme le sur mesure comme une machine redoutable qui fabrique des voyages à son image individualiste.
Rencontre humaine mercantilisée par la personnalisation de masse
Quand le marché du sur mesure atteint une taille critique, on se rend compte que les voyages, soi-disant personnalisés, se ressemblent. Et quand le sur mesure devient une commodité, c’est le début de la segmentation. Il y a le sur mesure pour les fauchés et celui pour les fortunés. La masse est bien évidemment la classe moyenne dont le budget est limité. Une bonne partie de ces gens « le tour du marché » en interrogeant simultanément plusieurs agences de chez eux et réceptifs. On marchande le sur mesure comme un tapis. Le problème, c’est de se retrouver dans une multitude de tapis similaires. Et bien, souvent, c’est le prix qui remporte.
Les utilisateurs de Quota Trip sont essentiellement les lecteurs de Petit Futé. Le public de ce guide concerne plutôt des gens qui cherchent des voyages à prix cassé. Par conséquent, ils n’hésitent pas à mettre les réceptifs en concurrence, mais avec une éthique souvent discutable.
Dans cette mouvance est né un comportement opportuniste et ingrat chez beaucoup de clients. Plusieurs de mes confrères ont vécu l’amertume avec la plateforme Quotatrip, un enfant du Petit Futé. De nombreuses demandes ne concernent que le service basique, genre voiture avec chauffeur. Et la rencontre humaine dans tout ça? On s’en fout ! Voiture + hôtel fonctionnel et ça va très bien. Et ça fait partie du sur mesure.
Innovation de la rencontre humaine comme élément différenciateur
C’est quand même paradoxal. Au temps des écrivains-voyageurs, la rencontre humaine allait de pair avec le voyage. Bizarrement, plus la technologie est poussée, plus les gens ont tendance à oublier cette dimension humaine. La guerre de prix dans l’industrie du sur mesure est tellement exacerbée que finalement, on revient à la rencontre humaine pour se démarquer. Il suffit de faire le tour de la plupart des agences de voyages et des tour opérateurs pour le constater. Le mot clé « rencontre humaine » n’est pas une spécialité propre au Voyageur du Monde. Tout le monde le revendique, parce que c’est le seul moyen pour comprendre une culture en profondeur.
Donc, pour se démarquer, il faut mener une innovation pour faire ressortir plus clairement le rôle de la rencontre humaine dans un voyage. AirBnB avec son concept des « Ambassadeurs », Comptoir des Voyages avec son réseau de « Greeters », Eatwith avec l’idée de manger chez l’habitant voilà quelques initiatives qui tentent de réconcilier la dimension humaine. Mais là encore, il y a un phénomène, ce que Rodolphe Cristin appelle l’artificialisation de la rencontre humaine.
Rencontre humaine au cœur de l’authenticité « fake »
Jamais, j’entends parler autant de ce mot : Authenticité. Les clients la demandent, les influenceurs en parlent, les routards la recherchent. Aujourd’hui, tous mes clients me demandent de vendre un Vietnam authentique, de proposer des rencontres. Ce gros mot est tellement à la mode et pourtant peu de gens comprennent vraiment de quoi il s’agit. J’ai pris beaucoup de temps pour comprendre partiellement comment ils définissent l’authenticité. Hélas! Pour beaucoup, la rencontre authentique implique simplement le fait de regarder les gens du coin vaquer à leurs occupations, aucune conversation, aucune interaction.
Jusqu’ici, je rejoins une reproche que je fais souvent à de nombreux routards : ce sont souvent les observateurs passifs en voyage, ils ne s’engagent pas forcément dans une rencontre humaine proprement dite. On croit à tort qu’il faut absolument sortir des sentiers battus pour rencontrer des gens. Au final, une bonne partie est complètement écartée de la population locale. Il n’y pas vraiment de contact réel. Ils se soldent par une frustration à cause de la barrière de la langue, de la mauvaise compréhension de la culture.
Il n’y a pas de vraie rencontre humaine sans implication des habitants locaux
D’une certaine manière, il y a un manque de profondeur dans leur façon de voyager. C’est pourquoi j’appelle « authenticité fake ». Tu voyages dans un pays pour « visualiser les locaux » comme si c’étaient des animaux en plein air. Le but est d’avoir une sensation de rencontrer des gens. Mais au final, le sens du partage n’est pas toujours présent. La vraie conversation n’est pas toujours entamée. Par conséquent, malgré le fait de se déplacer dans un pays étranger, on est toujours coincé dans ses propres idées préconçues.
Un exemple concret à Hoi An : dans la zone de forêt inondée Bay Mau, on aménage une mise en scène théâtrale pour faire croire aux gens que c’est authentique. Par petite troupe de 2 bateaux, un “paysan” vient vous apprendre à pêcher des crabes.
Au lieu de voyager pour découvrir la différence, on voyage pour confirmer les stéréotypes. Si on regarde de près, force est de constater qu’ils suivent plus ou moins la même tracée touristique, là où les pièges à touriste les attendent. Ils cherchent tous l’authenticité. Le problème : ce qu’ils obtiennent est l’authenticité fake. J’entends souvent les retours genre : « Ouais! Nous avons fait de superbes rencontres au Vietnam. C’est trop cool! ». Et quand on creuse un peu plus dans leur type de rencontre, et beh c’est souvent du type : « On a croisé Steeve et Laura au pub Hair of the dog à Hanoï ».
Si on suit strictement l’essence d’un voyage de découverte, je crois que les gens cités en haut ont raté une bonne partie de leur voyage. La rencontre authentique avec la population pourrait s’établir autrement, si on se faisait accompagner par une agence de voyages sérieuse et innovante
La clé d’accès aux habitants reste l’agence de voyages
Aujourd’hui, avec la technologie, les voyageurs aguerris peuvent très bien se passer des agences et organisent leurs propres voyages. Toutefois, il s’agit plutôt des visites simples. Plus on va vers le côté rencontre humaine poussée, plus c’est compliqué de s’organiser seul.
C’est pourquoi innover les rencontres humaines est un devoir des agences réceptives du Vietnam. Les types de rencontres ne manquent pas : cours de cuisine chez l’habitant, méditation avec un moine dans un monastère, initiation à la calligraphie avec un maître, atelier de la réflexologie faciale avec un thérapeute, une matinée dans la peau d’un pêcheur, etc. À l’heure de la personnalisation massive, chaque profil de voyageur peut piocher les rencontres thématiques à sa guise. Le rôle de l’agent de voyages est d’en proposer de façon appropriée. Et pour cela, c’est la mission du réceptif de bien former les agents de voyages.
Cet article fait partie de la grande thématique du tourisme responsable au Vietnam. Aux antipodes de la pensée occidentale, on vous apporte un regard inusité de l’Asie sur le sujet de durabilité. Certains points de vue sont complémentaires, d’autres sont plus divergents.