Les droits de l’homme sont souvent négligés dans le tourisme. Derrière le décor idyllique d’un club de vacances, c’est parfois le côté sombre des communautés aux alentours. Avez-vous entendu parler des projets d’écolodge qui pillent les ressources naturelles et expulsent les villageois? Dans un pays où le niveau de corruption est élevé, cela fait réfléchir. Regardons ensemble pourquoi et comment le tourisme est lié aux droits de l’homme.
Les droits de l’homme selon l’ONU
En 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme a explicitement mentionné les éléments suivants :
- Accéder à un emploi dans les conditions équitables
- Liberté d’expression
- Égalité sans distinction de sexe, d’opinion politique ou de couleur de peau
Plus que jamais, cette charte universelle s’applique aussi au tourisme durable. N’oublions pas une chose : le tourisme est avant tout une rencontre interculturelle entre les touristes et les habitants. Malheureusement, l’industrie touristique a fortement dégradé le rapport cordial entre les humains. Ainsi, on constate des dérives : néocolonialisme, esclavage moderne, discrimination raciale, clivage social, etc. Toutes ces conséquences sont intimement liées aux droits de l’homme.
En 2011, l’ONU a mis en place les principes directeurs des affaires et des droits de l’homme. C’est une manière officielle pour dire que tous les secteurs économiques doivent respecter ce droit universel, incluant le tourisme. Il ne s’agit pas d’une responsabilité passive. Les entreprises doivent intégrer les principes d’éthique dans le process managérial. Cela s’applique également au tourisme.
Responsabilité des entreprises de tourisme vis-à-vis des droits de l’homme
L’ONU décline le développement durable en 17 objectifs. C’est un guidage très complet qui tend les entreprises ver la RSE. Les droits de l’homme sont, bien entendu, inclus dans tous les spectres. Issu du développement durable, le tourisme reprend l’intégralité des recommandations. Hélas! La compétition féroce dans le tourisme fait que le pillage des ressources est monnaie courante. Au Vietnam, les populations locales, noyau dur des droits humains, en sont victimes directes.
Au cœur du débat se trouvent les voyagistes et les agences réceptives. Ce ne sont que les intermédiaires qui dépendent d’une large variété de fournisseurs : transport, guides locaux, hébergement, restauration. Coordonner un ensemble de prestations aussi disparates n’est pas une chose aisée. Parfois, quelques prestataires ne respectent pas les droits de l’homme. Dans beaucoup de cas, les agences réceptives peuvent être « complices» des crimes.
Il faut savoir que le Vietnam est un pays communiste. Son système de gouvernance est très corrompu. La censure médiatique est parmi les pires au monde. De ce fait, les entreprises vietnamiennes ont de grosses lacunes en matière des droits de l’homme. C’est difficile pour elles de se rendre compte que l’on contribue indirectement à la violation du droit universel.
Discrimination raciale
La ségrégation raciale est latente au Vietnam. La pratique courante veut que les hôtels et restaurants soient segmentés en fonction du groupe ethnique des clients. Ainsi, on a des hôtels desservant uniquement des Blancs. D’autres ne servent que les Asiatiques. On constate cette réalité dans les stations balnéaires comme Nha Trang, Mui Ne, Danang, et Phu Quoc.
La segmentation raciale intervient aussi dans la différence entre les visiteurs vietnamiens et étrangers. Plusieurs restaurants et bars, spécialisés dans les marchés occidentaux, refusent l’entrée des Vietnamiens. Deux exemples concrets à Hoi An :
- En 2017, The Deck House a chassé des Vietnamiens. Le motif : ces clients bruyants dérangent leurs chouchous blancs
- En 2019, Cyclo’s Road Café a refusé les clients vietnamiens pour la même raison
A Nha Trang, il y a carrément un quartier entièrement consacré aux touristes russes. Les agences locales vendent exclusivement des excursions aux Russes avec l’affichage des prix en langue russe. Celles-ci refusent de servir la clientèle vietnamienne. Les vacanciers locaux se sentent rejetés et humiliés dans leur propre pays.
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits »
Déclaration universelle des droits humains par l’ONU, Article 1
Pillage de ressources naturelles
La propriété terrienne et l’eau arable sont les deux sujets très chauds au Vietnam. Les projets immobiliers sont souvent à l’origine des conflits. Or, le tourisme est souvent une extension de la spéculation immobilière.
Le tourisme de villégiature est très à la mode. Cela englobe les écolodges, resorts balnéaires, et terrains de golf. Ces établissements sont très gourmands en eaux et terres qui appartiennent aux communautés agricoles sur place. Sans consultation démocratique, les autorités finissent pas les expulser pour laisser place aux investisseurs. Sous la peau de joint-venture, les complexes hôteliers bouleversent la biodiversité :
- Coupure d’eau à Sapa à cause de la consommation d’eau des centaines d’hôtels
- Des pans de forêts sur l’île de Phu Quoc sont rasés pour mettre en place des parcs safaris
- Les resorts de luxe Amanoi et Intercontinental s’emparent d’une partie des réserves naturelles et barrent l’accès aux locaux
Ces établissements sont les fournisseurs des agences réceptives et des voyagistes spécialisés dans le voyage de luxe. Sommes-nous en train de promouvoir la collusion politico-économique? Les droits de l’homme sont affectés, parce qu’on viole le droit à un niveau de vie décent, incluant nourriture, eau, et logement
« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement […] »
Article 25 (1); Déclaration universelle des droits humains par l’ONU
Expropriation
Au cœur de la Baie d’Halong se trouvait une communauté de pêcheurs. Apparus au début du 20e siècle, les habitants se regroupaient par petits villages flottants dispersés dans la baie. Lorsque la Baie d’Halong fut classée par l’Unesco en 1994, seules ses formations kartisques sont reconnues. Les pêcheurs de la zone ne sont pas pris en considération. Leur présence dérange les autorités locales.
En 2014, toute la population maritime fut contrainte de quitter leur domicile ancestral pour gagner la terre ferme. Vidé de ses habitants, le village flottant de Vung Vieng fut transformé en un « éco-musée». On y ajoute quelques rameurs et une boutique de perle de culture. C’est un passage obligatoire pour toutes les compagnies de croisière.
Par sa ruse, l’État a déplacé une population forte de 300 âmes pour mettre en place une culture « fake ». Les autorités locales se servent de leurs maisons ancestrales pour des buts commerciaux. Étant donné que les bateaux sont fournisseurs des réceptifs, on viole indirectement les droits de l’homme
« Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété »
Selon la Déclaration de l’ONU, Article 17
Intrusion et voyeurisme
Les émissions de télé-réalité comme « Rendez-vous en terre inconnue» façonnent un fantasme sur l’authenticité. On cultive l’idée selon laquelle, toute population locale se plie en quatre pour accueillir les touristes. En quête de belle photographie, l’étranger adopte volontiers un regard voyeur. Il se donne le droit de pénétrer des espaces privés sans consentement des résidents.
Au Vietnam, ces situations sont nombreuses, surtout en ville. Le cas le plus connu est la rue ferrée à Hanoi. À cause de l’Instagram, les touristes se ruent vers ce quartier populaire pour prendre des photos. La pauvreté du lieu et la structure inédite des rails deviennent une attraction disneylandisée. La scène quotidienne des familles est vue comme un décor touristique
Pas mal d’excursions sont organisées par les agences locales pour « voir » le train qui frotte les maisons. Aucune collaboration entre les habitants et les agences n’est mise en place. Pour beaucoup familles sur place, les touristes sont simplement des intrus indésirables.
« Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation »
Déclaration universelle des droits humains par l’ONU. Article 12
Conditions de travail et dignité
Au Vietnam, les guides locaux sont un rouage dans un tourisme tiraillé par la guerre de prix. Les abus sont tellement nombreux :
- Précarité d’emploi : la plupart des guides sont les travailleurs autonomes. La loi vietnamienne est floue dans le statut d’auto-entrepreneur. Par conséquent, la sécurité sociale est défaillante en cas de chômage
- Heures supplémentaires sans rémunération. Il est courant que les guides ne soient pas payés, même s’ils servent les touristes au-delà des heures indiquées dans le contrat de voyage.
- Une loi n’indique le salaire minimum requis pour les guides. C’est un « marché libre » où les agences fixent le prix en fonction de la compétition entre elles. Les grosses agences réceptives ont un pouvoir de négociation, permettant de jouer sur le volume et la sécurité d’emploi pour payer pas cher
- Salaire bas qui encourage des guides de compter sur les pourboires et le shopping. Ils doivent rentabiliser leur mois en leurrant des touristes vers des boutiques de souvenir.
- Les guides sont perçus comme serviteurs. Il est rare qu’ils mangent dans la même table que les touristes. À l’exception des nuits chez l’habitant, les guides mangent dans une zone désignée par les restaurants. Il y a souvent un sentiment d’infériorité et d’humiliation.
« Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage […] Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal ; […] Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée »
Déclaration universelle des droits humains par l’ONU. Article 23 (1), (2), (3)
Exploitation des enfants
La région de Sapa et tristement connue pour l’implication forcée des enfants dans le tourisme. Le secteur est largement dominé par les Vietnamiens issus de l’ethnie principale. Toutes les dépenses sont concentrées dans les hôtels, restaurants, transports dont les ethnies minoritaires sont rarement propriétaires. La répartition inéquitable des revenus explique la sollicitation agressive des ethnies qui réclament leur part du gâteau.
Les enfants H’mongs sont forcés d’abandonner l’école pour pratiquer la mendicité. D’autres vendent des souvenirs aux touristes en jouant sur la compassion déplacée. Tous les touristes viennent de la part des agences réceptives qui organisent des excursions dans la vallée de Lao Chai.
« Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire »
Déclaration universelle des droits humains par l’ONU. Article 26
Tous les exemples cités ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. Plus on creuse en profondeur, plus on se rend compte de l’étendue de l’impact que le tourisme génère. En guise de conclusion, le sujet des droits de l’homme ne se limite pas à l’arène politique. Cela concerne aussi le tourisme véhiculé par les entreprises et les touristes.
Cet article est une sous-catégorie de notre manifeste du tourisme durable. Il s’agit d’un document de synthèse qui guide toutes nos actions managériales vers un tourisme plus positif.