Nous sommes loin de l’image des jeunes aristocrates d’antan qui se cultivaient en voyageant. La démocratisation du voyage fabrique une nouvelle génération de routards obsédés par la consommation. Zoom sur ces touristes déboussolés qui parcourent le Vietnam pour confirmer les stéréotypes et flatter leur égo.
Routards : plus sexy que touriste fauché
Aucun routard ne se qualifie lui-même de touriste fauché et inculte. Les gens vont mépriser un lieu bondé, se considèrent comme différents et supérieurs à la masse de touristes. Pourtant, s’ils se trouvent dans un bateau de croisière pas cher dans la Baie d’halong, il y a zéro chance qu’ils ne fassent pas partie de cette «masse».
Les routards veulent se distinguer des touristes, et c’est un symptôme occidental. L’éducation vous vend une idée géniale : voyager ouvre l’esprit, faire de vous un citoyen du monde, on découvre des cultures diverses. C’est valorisé socialement. Depuis l’avènement de l’aviation civile, ce rêve est démocratisé, pour une classe aussi démunie que les routards.
Le revers de cette accessibilité est la perte des capacités innées chez les vrais voyageurs :
- Développer un rapport d’humilité et de respect vis-à-vis du pays d’accueil (et pas domination)
- Laisser place à l’inconnu et l’improvisation (et pas check-list)
- Tracer son propre itinéraire de zéro (et pas écouter les autres)
Force est de constater que les routards ne possèdent pas vraiment telles qualités. C’est avec le maigre bagage de «soft skills» que ces gens viennent au Vietnam
Les routards dans la perception des Vietnamiens
En vietnamien, on leur donne le surnom Tây balô, qui signifie des routards fauchés. Derrière ce terme péjoratif se cache un mépris latent vis-à-vis des baroudeurs originaires de l’Occident. En gros, le mot contient plusieurs préjugés:
- Jeunes blancs qui manquent du savoir-vivre
- Budget serré
- Incultes et irrespectueux
- Soulards et fêtards
Cette image pas très glamour prend son origine à la fin des années 1990. Les jeunes fauchés étaient à la recherche des hébergements pas chers pour préserver le porte-monnaie. Les premiers quartiers des routards ont vu le jour à Hanoi et Saigon.
Essentiellement réservées aux touristes occidentaux, ces zones furent conçues pour cloisonner une poignée de routards aguerris. Petit à petit, c’est devenu un véritable « ghetto » où se côtoient des étrangers. Les Vietnamiens leur donnent le nom phố Tây, « quartier des blancs ». Ici, le contact avec la population locale se limite à la dimension mercantile et transactionnelle.
Au fil du temps, l’image des routards ne cesse de se détériorer dans la perception du public vietnamien. C’est tellement péjoratif que l’on a dû inventer un deuxième terme, Tây rau muống. Apparu dans les années 2000, ce mot signifie des « routards aguerris » qui adoptent vite de mauvaises habitudes locales à leur avantage. Toutes les techniques sont bonnes pour sauver des ronds : marchandage à l’extrême, travail au noir, prostitution, etc.
Malheureusement, les routards sont synonymes d’une caste indérisable dans une société encore conservatrice comme le Vietnam. C’est très difficile de changer cette étiquette à long terme.
Illusion du tourisme responsable
La plupart des routards aguerris prétendent d’être les voyageurs responsables. Toutefois, leurs actes contredisent dans 90% des cas. Dans les faits, ils s’inscrivent dans la consommation à outrance, camouflée par l’image de fins explorateurs.
Dans le fond, les routards rêvent de relever des défis. Un dépassement de soi en quelque sorte. C’est une quête légitime. Toutefois, leur expression comportementale est souvent maladroite, ce qui dégage des stéréotypes consuméristes.
Les guides Routard/Lonely Planet / Petit Fut contribuent indirectement à ce phénomène. À force de vouloir rendre la destination accessible financièrement, ces « bibles » fabriquent toute une génération de chasseurs de bons plans. L’obssesion du budget prime sur tout le reste . On les éduque à consommer le pays plutôt que d’y contribuer.
Au lieu d’encourager le partage, les guides ont plus tendance à cultiver la méfiance de l’autre. Il suffit de recenser le nombre de fois où le terme « arnaque » est répété. À l’instar de la télé, les sources sur Internet prônent l’idée de se protéger en voyage plutôt que s’ouvrir vers l’autre. C’est comme si le voyage était une affaire de survie. Le « conquérant» doit écraser toute tentative d’arnaque locale pour embellir son image d’explorateur averti.
A force de suivre les conseils des guides, les routards aguerris se ruent vers des quartiers spécifiquement désignés pour eux. Les quartiers routards sont ni plus ni moins une ghettorisation volontaire des explorateurs démunis. C’est une «race» de touriste qui se veut différente des confrères bobos bloqués dans les resorts all inclusive. En réalité, ils passent d’une enclave à l’autre. Cette fois-ci, ce sont des « hubs » de routards spécialement conçus pour les Occidentaux.
L’illusion du tourisme responsable se traduit aussi par la durée moyenne des voyages. Très souvent, les routards aguerris « collectionnent » plusieurs pays en Asie du Sud-Est. Obssédés par l’optimisation du temps, ils passent peu de temps dans chaque étape. Moins de temps veut dire moins de chance d’échanger avec la population locale (dimension sociale) et dépenser moins d’argent sur place (dimension économique).
De backpackers à begpackers : décadence culturelle de l’Occident
L’une des caractéristiques innées chez les routards aguerris, c’est l’obsession de la «performance budgétaire». Plus on est capable de voyager à moindre coût, plus on est fier de soi. «vouloir le beurre et l’argent du beurre » est une conviction de beaucoup d’adeptes. Ce côté radin excessif explique pourquoi les routards se plaignent du billet d’entrée à Hue alors que cela coûte à peine 9$. On hésite de payer 9$ pour un ticket, . Mais 9$ pour 5 bières dans un bar, pas de problème. C’est preuve d’une ignorance totale à l’égard de la culture.
Cela ne coûte rien de se cultiver sur les traditions locales et adopter des comportements appropriés. Le problème est que c’est un investissement intellectuel qui demande du temps, ce que les routards pressés n’ont pas. C’est pourquoi ils préfèrent des informations plus « fastfood » type Petit Futé. L’excès reflète une certaine décadence morale en Occident.
Depuis 10 ans, il est fréquent de croiser des jeunes routards occidentaux en train de faire la manche. Le phénomène des begbackers se passe partout en Asie du Sud-Est. Ce comportement honteux suscite un mépris du public vietnamien. En effet, le travail acharné est une valeur fondamentale dans ce pays qui a vécu la misère. Un Vietnamien de base prend peu de vacances pour lui. Pendant ce temps, les backpackers se donnent le privilège de partir des semaines en Asie, en cherchant des « fonds ». L’indignité est le mot évoqué par de nombreux Asiatiques.
Hormis le côté immoral, la mendicité est strictement interdite par la loi. Vous ne trouverez aucun mendiant dans les rues vietnamiennes. Les seules exceptions sont les routards aguerris.
Quand le voyage sac à dos se transforme en travail au noir
Les routards sous l’étiquette de l’enseignant d’anglais sont très répandus au Vietnam. Il y en a des miliers ! Ce phénomène vient du fait que les Vietnamiens accordent une grande important à l’éducation de leurs enfants. Le rêve de bien maîtriser l’anglais est tellement grand que la population urbaine fait confiance aveugle aux instituts de langue. De nombreuses enquêtes des journalistes démontrent que les routards n’ont ni de qualification ni de contrat de travail avec des écoles de langue. Ils ont tous un visa touristique, qui ne permet pas de travailler légalement.
Les routards aguerris profitent à fond des failles juridiques pour gagner de l’argent sur le dos des Vietnamiens. En moyenne, une séance coûte 10 USD / tête. Un routard peut gagner de 400 USD à 2000 USD par mois. Ce revenu permet de couvrir en grande partie des frais de voyage sur place. Pendant ce temps, le salaire moyen des Vietnamiens est autour de 200 USD par mois.
Naturellement, le Vietnam devient le camp de base pour des travailleurs au noir sous la peau de routards blancs. Grâce à un bon réseau aérien, ils font des sauts dans les pays limitrophes, commes les criquets.
Pollution culturelle : face cachée de l’immaturité des routards aguerris
On prône les routards aguerris pour leur courage et détermination. C’est vrai qu’ils sont souvent prêts à dormir dans les auberges spartiates, à taper 3000 bornes dans un bus couchette, etc. Mais, voyager hors des sentiers battus n’est pas synonyme de voyager hors des idées reçues.
Ce qu’on leur reproche est l’absence d’esprit critique et l’altruisme. La culture de backpacker est surtout une affaire égocentrique et hédoniste. Suivant à la lettre des guides Routard et compagnie, ils foncent dans les endroits soi-disant paumés sans se renseigner sur les us et coutumes.
Le cas typique est Sapa et ses environs. Les routards y vont pour l’appel de la nature et le prix bas, mais pas que. Il y a un autre aspect plus subtile : le coup d’un soir facile avec des jeunes filles H’mong. Dans un pays conservateur comme le Vietnam, le rapport sexuel sans mariage reste un tabou. L’exception existe chez les femmes H’mong qui sont un peu plus libertines que la moyenne. Ainsi, la conquête de Sapa ne se limite pas uniquement aux randonnées à travers des rizières, mais aussi des «nuits torrides et exotiques». S’envoyer dans l’air gratos avec une fille locale, ça correspond bien à l’optimisation du budget.
L’exploit des routards aguerris laisse derrière des enfants abandonnés. Leur apparence métissée ne laisse pas les Vietnamiens indifférents. Ils sont tellement nombreux que les locaux inventent un nouveau terme : « la 55ème ethnie ». C’est une manière méprisante pour designer ces enfants nés hors mariage. Rarement scolarisés, ils finissent souvent pas vendre des babioles dans les artères achalandées de Sapa.
Quel futur pour les routards aguerris au Vietnam?
Depuis 2004, le Vietnam tourne en rond dans sa stratégie de marque. En gros, c’est une alternative pas chère par rapport à la Thaïlande. Tout un écosystème est fait pour ramasser le maximum de routards ayant le budget serré :
- Hébergements qui défient toute concurrence
- Agences locales type Sinh Café qui vendent des excursions au prix bradé
- Prestations fabriquées à grande échelle qui folklorisent la culture
Dans toutes les sources sur Internet, le Vietnam est positionné comme un pays bon marché. Donc, les routards ne sont pas les seuls à blâmer. Il faut aussi remettre en cause la cupidité des entreprises locales et la vision de l’État. Les agences comme Sinh Café et les homestays AirBnB cultivent eux-même cette image du Vietnam bradé.
Tous les routards aguerris ne sont pas aussi « pourris » que ça. Ils sont jeunes et ont besoin d’un accompagnement éclairé pour grandir. La responsabilité incombe aux professionels et l’État
Cet article fait partie de la grande thématique du tourisme responsable au Vietnam. Aux antipodes de la pensée occidentale, on vous apporte un regard inusité de l’Asie sur le sujet de durabilité. Certains points de vue sont complémentaires, d’autres sont plus divergents.
Vous avez totalement raison et j’approuve votre article. J’ai tenu, avec mon épouse (Vietnamienne), un petit resort en bord de mer (sur la plage) et la pire clientèle était les routards. Toujours trop cher, même si le prix de la chambre était affiché en clair. Ils ne comprenaient pas que le prix variait avec la saison et le taux de remplissage. Le prix d’une chambre était toujours trop cher (12$ à midi) pouvait passer le soir à 45$ si c’était la dernière et devinez, là on se faisait traiter d’arnaqueur en nous renvoyant le prix affiché à midi ! (mémoire courte car c’est la même façon de procéder en France).
A contrario, j’appréciait énormément la clientèle Vietnamienne à l’opposé coté budget. Certaines familles posaient à l’arrivée 20/25.000.000 VND et disait “quand il y en a plus tu redemandes” sous entendu “c’est le budget prévu, je ne veux pas le dépasser”. Ces personnes ne comptaient pas les consommations, adultes comme enfants se faisaient plaisir tout au long de leur séjour. Nous avons revendu et il y a 8 ans sommes revenu en France pour cause familiale. Actuellement nous retournons nous installer au Vietnam et devinez, nous faisons tout pour éviter cette clientèle dans notre prochaine activité.
Bonjour Bernard. Merci beaucoup pour votre témoignage! Cela confirme mon constat depuis 10 ans : l’émergence de la classe moyenne vietnamienne (fort pouvoir d’achat) et baisse de pouvoir d’achat (aussi dégradation comportementale) des Occidentaux dont les routards. Une tendance renversée se fait en discrétion au Vietnam.