4R du tourisme responsable à l’échelle d’une agence locale

Mis à jour le: 29/02/2024 | Publié le: 05/08/2021
4R du tourisme responsable

Les 4R du tourisme responsable représentent un coffre à outils pragmatique pour une agence locale comme TTB Travel. Cela nous aide à classer le degré d’engagement de nos initiatives. Développé par Florie Thielin, le concept illustre notre évolution graduelle vers le tourisme vertueux. Étalée sur 7 ans, notre transition fut douloureuse et coûteuse. Témoignage sur un pari suicidaire


En 2021, peut-on encore ignorer des resorts démesurés qui pompent les nappes phréatiques du littoral? Comment en finir avec les circuits express qui enchaînent le Vietnam en 8 jours? Sera-t-on à nouveau complice des plateformes qui empêchent les jeunes citoyens de se loger dans les régions où ils ont grandi?

Pratiquer le tourisme responsable veut dire renoncer à toutes ces habitudes malsaines. On passe du tourisme subi au tourisme choisi. Pour une agence réceptive vietnamienne, c’est plus facile à dire qu’à faire. On scie la branche sur laquelle on est assis. Et pourtant, c’est mieux que laisser le cancer du surtourisme s’infiltrer dans les racines de l’arbre. En tout cas, c’est notre vision du tourisme de demain

Le tourisme responsable n’est pas une utopie. C’est un état d’esprit qui s’acquiert au fil du temps, grâce à un entraînement discipliné et tenace. L’organisation des initiatives par ordre d’engagement démontre que l’on peut faire un grand changement par petits bouts. C’est pourquoi le modèle des 4R du tourisme responsable apporte une bonne dose de pragmatisme.

« Refuser » dans les 4R du tourisme durable

C’est l’option la moins coûteuse pour l’entreprise, mais aussi la plus radicale. Nos  décisions reflètent l’esprit patriotique qui est l’un des trois piliers de notre ADN

Bannir certaines formes de tourisme

Nous avons viré plusieurs types de service qui manquent de pertinence dans le contexte en vigueur. Nous refusons d’être complices d’un crime contre nos compatriotes

  • Tourisme de golfe : c’est le meilleur exemple du pillage des ressources au grand dam des habitants. Le Vietnam se vante de ses 40 terrains de golf parmi les meilleurs d’Asie. On sacrifie des eaux arables pour abreuver des hectares de pelouse qui ont préalablement détruit des rizières.
  • Resorts balnéaires : effet de clubmedisation et bétonisation qui ravage le littoral. Depuis 2015, toute la côte vietnamienne est victime de la bulle immobilière. C’est la source de nombreux conflits fonciers aux dépens des habitants. Ceux-ci sont expulsés de leur habitat par la force. Nous avons le regret de renoncer successivement aux zones côtières.  D’abord c’est  Nha Trang (2015). Puis, c’est le tour de l’île de Phu Quoc (2019) , Hoi An et Mui Ne en 2020.
  • Croisières gigantesques. Les études démontrent que les hôtels flottants ne rapportent pas grand-chose au Vietnam, malgré leur taille.  Les croisiéristes déferlent sur les villes d’escales pendant quelques heures seulement. Ils reviennent aussitôt aux ports pour passer la nuit à bord. Toutes les parts du gâteau tombent dans la poche des Costa Croisière ou Msc.

Boycotter les souvenirs Made in China

À cause de la proximité géographique avec l’Empire du Milieu, la contrefaçon est un fléau dans la société vietnamienne. La quasi-totalité des boutiques de souvenir s’approvisionne des marchandises en provenance de la Chine. Dans nos circuits, nous refusons toutes les séances prévues pour le shopping. Les voyageurs auront le temps libre pour le faire s’ils souhaitent.

Dénoncer la violation des droits fondamentaux menés par les voyous du tourisme

Au Vietnam, les voyous sont les conglomérats très soutenus par le gouvernement. Ces prédateurs hors norme sont à l’origine des injustices et inégalités sociales du pays. Très friands de la spéculation immobilière, ils ont l’accès facile aux endroits protégés ou terrains stratégiques. Chaque nouveau projet de construction entraîne souvent l’éviction des paysans.

C’est ici qu’ils construisent et gèrent des complexes hôteliers avec l’aide des chaînes internationales.  Munies du marketing sophistiqué, ces boîtes multinationales se chargent de récolter des labels dignes de greenwashing. Toute contestation des habitants pauvres aboutit souvent à une oppression mafieuse orchestrée par l’État. Nous condamnons ce type d’alliance qui s’apparente au crime contre l’Humanité. En toute transparence, nous communiquons avec les partenaires la liste noire de ces voyous

« Réduire » nos impacts

Il n’existe jamais d’empreinte neutre quand on met pied dans une destination. On y laisse toujours une trace. La frénésie consommatrice des voyages nous pousse souvent  à générer des impacts négatifs. Il faut les réduire.

Limiter la consommation plastique et les déchets

Au Vietnam, la pollution plastique est une préoccupation quotidienne. Faute de technologie de recyclage, le pays est parmi les pires pollueurs du monde. Le tourisme participe directement à la génération des déchets. Dans un voyage, on identifie 4 sources de déchet.

  • Hébergement : 2 bouteilles d’eau sont mises par défaut dans les chambres d’hôtel
  • Transport en voiture privatisée. Le chauffeur met à disposition une bouteille d’eau par voyageur par jour. Très souvent, le guide francophone achète préalablement un carton de 30 bouteilles pour distribuer au fur et à mesure
  • Repas dans les restaurants touristiques. Les boissons sont rarement prévues dans le menu. Néanmoins, l’eau plate est systématiquement servie en bouteille plastique
  • Activités qui nécessitent les efforts physiques (vélo, rando, etc.). On achète des bouteilles d’eau dans les magasins du coin.  

Hormis l’eau en bouteille, s’ajoute l’usage des sacs plastiques qui fait partie des mœurs d’une économie en plein développement. Face à ce constat, changer des habitudes n’est pas une mince affaire. Les marques Aquafina (Pepsi) et Dasani (Coca) créent exprès cette dépendance du plastique.

À l’échelle d’une agence réceptive, on doit orchestrer les prestations en tant qu’intermédiaire. C’est le défi majeur, car tous les partenaires locaux ne jouent pas le jeu. À notre niveau, voici les solutions en cours.

  • Encourager les voyageurs de prendre leurs propres gourdes
  • Offrir notre kit zéro déchet : pailles et couverts en bambou , sac poubelle réutilisable, sac d’épicerie réutilisable. Tout est fabriqué localement par les entreprises vietnamiennes
  • Réfléchir sur un réseau de points de ravitaillement d’eau où on peut remplir sa gourde. Pour l’instant, nous utilisons la plateforme Refill my Bottle
  • Fournir nos propres cuves d’eau en inox que l’on met dans la voiture pour l’usage quotidien. La contenance est entre 20L et 50L, dépendant de la taille du groupe

Restreindre la pension complète pour offrir plus de liberté

Sauf si le partenaire demande, nous proposons de moins en moins le plan de repas en pension complète. La restriction des restaurants touristiques est courante du fait de la fausse authenticité.

La cote de popularité des établissements occidentalisés ne cesse de prendre l’ampleur. Il est flagrant de constater des restaurants qui servent le menu fusion diluant toutes les saveurs de la cuisine vietnamienne. Dénués de toute logique, ces restaurants, souvent hors de prix pour les Vietnamiens, font concurrence aux structures locales. Ainsi, nous laissons aux voyageurs une marge de liberté pour vivre pleinement la vraie gastronomie vietnamienne. Dans nos guides des villes en immersion, nous avons répertorié une liste des adresses préférées des locaux.

Minimiser le nombre d’étapes pour maximiser la proximité avec les habitants

Le tourisme de masse est critiqué à cause du manque cruel de rencontres authentiques. En partie, c’est parce que les circuits de voyage sont mal conçus. Tout est basé sur la course contre la montre pour voir le maximum de choses. Or, le vrai contact humain requiert du temps.

Pour équilibrer le temps, nous mettons en place plusieurs paramètres

  • Réduire le nombre de régions à découvrir. Habituellement, les gens font le circuit Vietnam Nord Sud en 12 jours. Pour une durée identique, il est préférable de se concentrer sur le Nord Vietnam, par exemple
  • Parcourir moins de distance d’une région à l’autre pour réduire le temps en transport. Cela laisse plus de place à la découverte. Nous appliquons le ratio 500 km = 1 nuitée.

Remplacer les composantes du tourisme de masse par d’autres alternatives

Proposer des endroits moins bondés

Comme dans plusieurs pays, le Vietnam a aussi ses fleurons touristiques qui souffrent la surfréquentation. Sans surprise, plus c’est bondé, plus les gens sont stressés et mécontents. Pour pallier le problème, notre solution consiste à faire du démarketing des sites connus comme Baie d’Halong ou Sapa. Par la suite, on propose des alternatives similaires, par exemple

  • La baie de Lan Ha pour remplacer la Baie d’Halong
  • Les rizières en terrasses à Pu Luong et Hoang Su Phi pour remplacer Sapa

Le processus a pris du temps. Convaincre les voyageurs à adopter la démarche est plus compliqué. Il faut savoir que nous desservons la clientèle BtoB. Il faut bien outiller les agences de voyages pour qu’elles puissent discuter avec leurs clients. Pour fournir la matière, nous avons édité un visuel synthétique que l’on peut montrer directement au client.

Troquer  le « hors des sentiers battus» contre « hors des idées reçues»

Le hors des sentiers battus dans l’espace ne garantit pas nécessairement la durabilité. Vous pouvez gravir le sommet d’Everest en trouvant une montagne de déchets en haut. Ce qui compte, c’est voyager pour casser ses idées préconçues. Pour cela, on n’a pas besoin de taper 3000 bornes! Voilà pourquoi il faut remplacer le vieux mindset par un nouveau paradigme.

Dans les offres actuelles, on assiste à un phénomène de folklorisation. Dans toutes les villes, les tours guidés ressemblent à un tableau falsifié de la culture vietnamienne. Autrement dit, on passe de côté le patrimoine intangible du lieu. Quelques exemples flagrants

  • Balade en cyclo-pousse à Hanoi, alors que ce transport n’est plus utilisé par les Hanoïens depuis vingt ans
  • Spectacle de marionnettes sur l’eau à Hanoï. Symbole du féodalisme, cet art a perdu sa place dans la société moderne. Peu de Vietnamiens ont encore le souvenir de cette tradition qui était le passe-temps des paysans.
  • Dîner royal costumé à Hue. Une foutaise qui manque le respect vis-à-vis du patrimoine prestigieux de la cour.
  • Session de travail agricole au village de Tra Que. Pendant 45mn, on se prend pour un fermier et le tout se termine par une prise de photo instagram.

Nous proposons des activités immersives dans les villes pour avoir un regard plus fidèle de la réalité du Vietnam. Fini l’enchaînement des visites ennuyeuses de monuments. Nous substituons cette vieille approche par des activités beaucoup plus interactives.  Avec l’implication des habitants de souche, vous aborderez les villes autrement. Les circuits de TTB Travel intègrent l’échange avec les habitants à plusieurs niveaux

La meilleure façon de voyager hors des idées reçues est dans l’œil des habitants.

Substituer les gros par les petits acteurs

Les complexes hôteliers s’emparent d’énormes terrains et font une utilisation abusive de ressources pour satisfaire les besoins de leur clientèle. Pour faire contrepoids à ce tourisme destructeur, nous privilégions de petites structures tenues par les Vietnamiens.  Les profils sont variés

  • Hébergement : chambres d’hôte, hôtel familial, Guest House
  • Restauration : garrotte, échoppes, vendeurs ambulants
  • Fournisseurs d’activité : artisans, artistes, agriculteurs, coopératives

Fidèle à la philosophie patriotique, notre agence encourage l’émancipation entrepreneuriale des concitoyens. Ainsi, nous apportons énormément d’aide technique aux initiatives locales. Il s’agit du conseil d’expertise en faveur des porteurs de projet

  • Connecter Hong Ky et son projet de papier traditionnel au tourisme
  • Transition vers l’hôtellerie écoresponsable pour Tam Coc Field Home
  • Audit de l’établissement de Van Anh sur le sujet de cuisine authentique
  • Designer l’atelier de calligraphie en collaboration avec Duy Duc
  • Brainstorming avec Hung sur le thème Hanoi insolite pour ses balades en side-car

Les vrais héros de la culture vietnamienne sont les Vietnamiens. C’est à nous de les mettre en avant. Pour ce faire, notre rubrique Portrait des habitants valorise leur contribution à l’identité nationale

Diversifier le transport conventionnel par les alternatives moins polluantes

La réduction de nos empreintes carbone s’inscrit dans les 4R du tourisme responsable. Les circuits industriels utilisent deux vols domestiques pour parcourir le Vietnam du Nord au Sud. Pour éviter les vols, nous proposons deux solutions

  • Soit on prolonge le circuit à 3 semaines pour parcourir le pays en train et en bus de ligne
  • Soit on se concentre sur une seule région pour ne pas dépendre des vols

En ce qui concerne les transferts terrestres, la voiture privatisée est largement utilisée. Le Vietnam connaît des progrès technologiques et l’amélioration des infrastructures routières. Désormais, il est possible de faire appel à d’autres moyens de transport :

  • Pour certains tronçons, on peut alterner le bus de ligne et la mototaxi.
  • Dans certaines étapes où on passe plusieurs nuits, on peut éviter l’usage de la voiture. À la place, on utilise le vélo ou sa version électrique

Pour quantifier la consommation carbone de nos circuits, on utilise l’outil développé par ADEME. L’idée est d’évaluer combien de Co2 nous pourrons épargner par rapport à un circuit standardisé

Recycler les vieux modèles pour une transformation plus saine

Dans la gestion des ordures, on recycle des déchets pour fabriquer de nouveaux modèles moins énergivores. Dans le tourisme, il faut faire pareil pour les entreprises. La transformation organisationnelle des structures est le degré le plus difficile parmi des 4R du tourisme responsable. C’est chronophage et coûteux. Les grands groupes sont les plus réfractaires à la transformation radicale à cause des enjeux financier et politique. Les PME comme TTB Travel sont plus agiles du fait de la petite taille.

Renouveler le modèle d’affaires

Comme la plupart des agences réceptives, TTB Travel était adepte du tourisme moutonnier. Les voyages en gros groupe (50 pax) et les départs en GIR faisaient partie de notre quotidien. Le problème se repose sur le rapport déséquilibré entre les visiteurs et la communauté d’accueil. Pour que ce soit cohérent aux 4R du tourisme responsable, il faut changer drastiquement de modèle

  • Les groupes en petit comité pour la meilleure proximité avec les habitants. Dans la plupart des cas, la taille moyenne est autour de 12 participants. De ce fait, nous travaillons de moins en moins avec des groupistes
  • Émergence des voyages sur mesure pour les individuels, couples et familles
  • Voyages en groupe GIR, mais avec des thématiques très pointues : spiritualité, bien-être, scolaire, agricole, architecture.  Nous travaillons de plus en plus avec des Tour Operators spécialisés

Nous avons effectué un «nettoyage» dans notre porte-folio de clientèle. Les partenaires centrés sur le bas prix ont été virés. Le choix fut coûteux, car cela entraîne obligatoirement une chute libre de chiffre d’affaires. Nous gagnons moins, mais nous vivons mieux

Réinventer le rôle du réceptif

Dans la chaîne de valeur traditionnelle, le réceptif occupe le deuxième maillon. Il est un pourvoyeur de logistique, qui rassemble des prestations disparates. Avec l’Internet, certains réceptifs profitent de la manne du commerce électronique pour vendre directement aux touristes.

L’avènement de l’économie de partage a changé la donne pour une deuxième fois. Ce sont les touristes qui boudent les réceptifs pour réserver les prestations séparées :

  • Hébergement : booking, agoda, airbnb
  • Transport : opodo, skyscanner, uber, grab
  • Restauration : Eatwith
  • Activités : AirBnB Experience, With Locals

Face à l’évolution du métier, le rôle du réceptif devrait aussi évaluer. Depuis 2010, TTB Travel ne cesse de diversifier ses compétences

  • Travail de curation. À l’image des Musées des Beaux-Arts, nous dénichons des pépites qui sont introuvables sur le marché. Il s’agit des adresses confidentielles ou des produits très pointus
  • Rôle de coach vis-à-vis des agences de voyages. De nombreux partenaires ont besoin de vendre un Vietnam différent pour se démarquer. Nous sommes-là pour les accompagner
  • Connecteur des acteurs engagés. Nous fédérons des structures qui défendent le tourisme durable
  • Consultant du tourisme responsable. Nous collaborons avec plusieurs collectivités territoriales pour mettre en place une démarche écoresponsable

Virage vers la sobriété numérique

Ce n’est pas uniquement le débat entre les GAFA et les entreprises dans la tech. À son échelle, TTB Travel pollue aussi. Au niveau managérial, nous sommes concernés par les 4R du tourisme responsable.

Malgré l’éveil de conscience en 2019, nos actions sont franchement insuffisantes. Notre mutation numérique se limite à la refonte de notre site Web en avril 2021. La nouvelle version se veut être moins consommatrice d’énergie

En guise de conclusion

Dans le « monde d’après », il y aura certainement deux écoles de pensée. Il y a les réceptifs, impatients que la grosse machine redémarre. Et d’autres qui repensent le modèle et anticipent. TTB Travel fait partie de la deuxième catégorie

Compte tenu de nos ressources limitées, nous sommes contraints de repousser plusieurs initiatives à plus tard. Toutefois, le modèle des 4R du tourisme responsable sert de notre boussole pour naviguer dans l’océan de la durabilité. D’ore et déjà, les valeurs sont bien intégrées et formalisées dans nos engagements


Cet article fait partie de la grande thématique du tourisme responsable au Vietnam. Aux antipodes de la pensée occidentale, on vous apporte un regard inusité de l’Asie sur le sujet de durabilité. Certains points de vue sont complémentaires, d’autres sont plus divergents.

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L’AUTEUR Van Thai

Ayant grandi dans une famille de diplomates, j’ai passé mon enfance expatriée à travers plusieurs pays asiatiques. En quête de sens, mes voyages personnels sont toujours remplis de rencontres humaines, d'immersion culturelle et de découvertes authentiques. Avec mon entreprise familiale, je livre un combat acharné contre le tourisme de masse.

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