Les guides francophones du Vietnam sont les facilitateurs de rencontre avec la population. La profession est frappée de plein fouet par la pandémie et risque de disparaître. Sans aide de l’État, les passionnés sont contraints d’abandonner le job pour survivre. Tour d’horizon avec ces ambassadeurs de la culture vietnamienne qui traversent une tempête violente
Pour garder le contact avec eux, nous avons mené un sondage pour avoir plus de détails sur la situation. En avril 2021, nous avons interrogé 217 guides qui font partie d’un groupe Facebook spécialisé dans la francophonie. Le sondage s’est fait à travers un questionnaire de 4 questions rapides
- Pratiquez-vous toujours le métier de guide francophone ?
- Quelle nouvelle profession exercez-vous actuellement ?
- Quelle fourchette de revenu avez-vous avec la nouvelle profession?
- Avez-vous l’intention de revenir au tourisme en cas de reprise?
Reconversion rapide pour faire face à l’urgence financière
L’arrêt brutal du tourisme a provoqué un choc chez les guides. L’absence de touristes a mis en chômage forcé les 800 guides francophones du Vietnam. La plupart d’entre eux sont les travailleurs indépendants qui ne bénéficient d’aucune protection sociale. En outre, il n’existe pas d’associations de guide comme l’on peut trouver dans d’autres pays. Désemparé, chacun se débrouille selon la méthode Coué.

Depuis des années 1990, le système de sécurité sociale est défaillant. Tous les Vietnamiens développent très tôt la débrouillardise pour faire face à la précarité. Les guides francophones ont grandi avec cet esprit. Ainsi, nombreux sont ceux qui ont amorcé une reconversion professionnelle au bout du troisième mois de la crise. Après un an, tout le monde a trouvé un nouveau métier.

Parmi des catégories d’emploi, on constate l’absence de deux postes :
- Guide pour le segment domestique. Trop habitués à la clientèle occidentale, les guides francophones ne sont pas aptes à servir les compatriotes
- enseignant du français. Cette décision est logique, compte tenu du déclin de la francophonie au pays
Notre étude montre que le succès de la reconversion est rarement au rendez-vous. Seulement une partie des guides francophones du Vietnam parviennent à gagner bien leur vie. C’est essentiellement grâce à la fibre entrepreneuriale très prononcée chez eux. Pour l’écrasante majorité, le nouveau revenu est largement inférieur au salaire de guide. Concrètement, l’écart de revenu est assez frappant :
- Chauffeur de moto-taxi : 200 USD / mois
- Courtier d’immobilier : 3,000 USD / mois
- Propriétaire de gargote : 500 USD / mois
- Employé de banque : 400 USD / mois
Hormis la déception de la baisse drastique du confort matériel, c’est aussi la frustration mentale chez nos confrères. Elle est bien présente lorsque notre équipe les rencontre autour d’un verre
Choc psychologique et regret du bon vieux temps
Il faut reconnaître que le tourisme de masse a généré du travail pour les guides francophones du Vietnam. Même si le métier est moins rémunérateur que le passé, un guide expérimenté peut gagner 2000 USD / mois. La majorité des guides ne retrouvent pas ce confort pendant la crise. Il y a un sentiment de régression sociale
Le bout du tunnel est trop long. J’ai perdu la patience à cause des quatre vagues successives de Covid. Il y a des moments extrêmement pénibles à passer. La moindre contrariété dans votre vie personnelle prend des proportions gigantesques
Vich – guide régulier chez Exo Travel

L’apport culturel du métier de guide est non négligeable. La rencontre avec des touristes occidentaux permet de sortir du carcan communiste du pays. Chez les, il y a un refuge intellectuel dans le guidage. À cause du Covid, l’ouverture vers le monde extérieur est soudainement coupée. Pour ces gens, souvent diplômés, le choc est rude, et non sans conséquences. Pour la survie, il se retrouvent souvent dans les boulots très éloignés de leur passion. Malgré la faculté d’adaptation, plusieurs guides ne sont pas prêts mentalement. La nostalgie du tourisme d’avant est viscérale.
Rareté de guides francophones du Vietnam : un scénario à prévoir
À l’issue de la pandémie, il est fort probable que les guides francophones deviendraient une denrée rare. Le phénomène est déjà présent avant le Covid. Depuis 2015, on peine à trouver la relève alors que les guides expérimentés partent à la retraite. La crise sanitaire joue le rôle d’accélérateur.

Plus la crise dure longtemps, plus les guides perdent les compétences. En outre, certains gagnent mieux leur vie grâce à la reconversion. Ces gens-là ne reviendront pas en arrière. Parmi nos 800 guerriers, combien il nous en reste l’année prochaine? Personne ne sait. C’est pourquoi la pénurie de main-d’œuvre est une source d’inquiétude pour nous.
Sans leur service, l’accès à la découverte culturelle sera verrouillé. Malheureusement, la clé perdue ne sera pas duplicable. Il est important de prêter une attention particulière à cet enjeu lors de la reprise post-covid.
Cet article fait partie de la série de blogs autour de la thématique Covid-19 au Vietnam. L’idée consiste à mener une analyse fine de la situation sur place.