La standardisation culturelle est une déclinaison de la perte d’identité. Alimenté par le désir de modernité, le tourisme balnéaire du Vietnam subit une métamorphose accélérée. L’aménagement à l’américaine met en danger toute la côte, y compris les endroits reculés. Le tourisme durable fait face à une équation tordue, entre l’authenticité des villages et le développement immobilier. Découvrons ensemble comment l’architecture occidentale participe à la disneylandisation du littoral
Perception des Vietnamiens à l’égard du progrès
Pourquoi les Vietnamiens aiment-ils tant l’architecture occidentale? En fait, les bâtisses européennes ont un lien étroit avec la définition de l’ascension sociale. Pour les Vietnamiens contemporains, l’importation des cultures occidentales est synonyme du progrès. Le patrimoine du passé est considéré comme une régression sociale. Dans l’esprit du public, la modernité passe souvent par l’effacement du passé. Cette mentalité se forge depuis la colonisation française.
On se souvient de l’époque coloniale des années 1930. La nouvelle bourgeoisie vietnamienne émerge pour combler l’appareil administratif de la France sur place. Cette classe nantie s’inspirait largement de l’art de vivre à la française. Ainsi, des centaines de demeures européennes furent érigées dans les grandes villes vietnamiennes. La bourgeoisie indochinoise est devenue un modèle de réussite dans l’esprit des classes plus pauvres.
Depuis 1954, la montée au pouvoir du communisme a transformé en profondeur le rapport avec la richesse matérielle. Chassée du territoire, la bourgeoisie cède la place au prolétariat. Ravagé par de multiples guerres, le Vietnam a créé des classes populaires sombrées dans la misère. Résolument tournés vers le futur, les Vietnamiens souhaitent refuser les stigmates du passé. Pour beaucoup, le passé signifie la pauvreté de la campagne et la désuétude.
L’avènement de l’immobilier et l’engouement pour l’Occident
La honte pousse tous les Vietnamiens à travailler dur, dans l’espoir d’acquérir une richesse matérielle décente. Hélas! La rigueur communiste interdisait toute richesse personnelle. Il a fallu attendre la réforme « Đổi Mới» en 1986 pour libérer le désir. Comme un oiseau qui sort de sa cage, les Vietnamiens ont la rage de rattraper ce qui leur est dû. L’économie du marché des années 1990 est l’origine de la standardisation culturelle. Plusieurs couches sociales cultivent l’ostentation sính ngoại qui signifie « accro aux marques étrangères » en vietnamien.
Depuis 1990, l’investissement dans l’immobilier est enraciné dans la mentalité des classes moyennes. La possession d’une maison style français est l’objectif de ceux qui souhaitent accéder au rang des bourgeois d’autrefois. Au Vietnam, il est facile de croiser une façade Art Déco ou un dôme baroque. À cette époque, la standardisation culturelle était timide. Les emprunts de la culture européenne se limitaient aux motifs de décoration des maisons individuelles.
En 2006, l’entrée du Vietnam à l’Organisation Mondiale du Commerce marque une autre dimension de la standardisation culturelle. Le secteur immobilier a pleinement profité des failles du système financier pour booster l’économie virtuelle. C’est à partir de cette époque que le tourisme de villégiature prend son envol. Autrement dit, les emprunts culturels s’appliquent à l’aménagement urbain du littoral.
La standardisation culturelle atteint le niveau industriel. Les conglomérats vietnamiens copient littéralement le modèle fordiste des États-Unis. Les résidences secondaires ont une apparence homogène avec deux styles dominants : néo-classique et Art Déco. La plupart des projets de construction ont purement une optique spéculative. En effet, les promoteurs visent particulièrement les classes aisées en quête de biens immobiliers à revenu. Vendre l’image de l’Occident est un argument marketing très puissant.
Rôle des conglomérats vietnamiens dans la standardisation culturelle
La standardisation culturelle est soigneusement camouflée derrière de beaux projets de développement touristique. Le tourisme de villégiature n’est qu’une extension de la bulle immobilière. À partir de 2015, son expansion est beaucoup plus rapide grâce au soutien illimité du premier ministre Nguyen Xuan Phuc. Ce « modèle d’affaires » plaît à plusieurs acteurs avides.
- Nouveaux riches vietnamiens en quête de prestige
- Hauts fonctionnaires qui abusent le pouvoir législatif pour s’enrichir personnellement
- Conglomérats de construction qui augmentent l’influence politique via le poids économique
- Toute personne qui rêve de devenir riche d’un seul coup via la surenchère artificielle des maisons
L’ampleur de la standardisation culturelle des projets immobiliers va à l’encontre de l’authenticité des zones résidentielles. Très souvent, les autorités locales utilisent la force pour évincer les habitants sur place. Nous constatons à nouveau la dualité entre modernité et tradition. Les villas européennes aseptisées remplacent des villages de pêcheurs. Les Vietnamiens sont indifférents par rapport à la perte d’identité du littoral.
De nos jours, la côte vietnamienne est un champ de bataille sans merci entre les conglomérats. On repère partout des sites de construction au nom de Bất Động Sản Nghỉ Dưỡng, qui signifie « immobilier de villégiature ». L’Occident est une marchandise culturelle attrayante. Destiné principalement aux acheteurs vietnamiens, c’est un marché juteux. Ce n’est pas étonnant que plusieurs régions côtières réclament la part du gâteau.
Motivées par la corruption, les autorités locales font tout pour faire venir des investisseurs. Le tourisme balnéaire est une excuse pour gonfler la capacité hôtelière sans aucune planification stratégique. Ainsi, la standardisation culturelle des projets immobiliers va au-delà de la dimension architecturale. Le phénomène implique aussi des enjeux de durabilité
Standardisation culturelle et tourisme durable.
L’aménagement paysagiste du littoral est un cheval de Troie de l’uniformisation culturelle. Son accélération tue la richesse immatérielle des communautés qui peuplent la côte longue de 3600 km. Les habitants représentent le poumon de la culture. Or, les conglomérats sont à l’origine de leur éviction, ce qui entraîne le déracinement des territoires. Malheureusement, les Vietnamiens participent aussi à ce phénomène à cause de leur insensibilité au patrimoine.
Au Vietnam, la bulle immobilière est synonyme de la violation des droits de l’homme. Le fleurissement des constructions va de pair avec la multiplication de conflits fonciers. La formule est classique :
- Suite à un pot-de-vin généreux, le législateur donne le feu vert aux conglomérats
- Les terrains, habités par la population, seront libérés par la force. Si nécessaire, la police se chargera de « purger » toute protestation.
- Une fois que les conflits sont nettoyés, c’est le tour des marques internationales d’intervenir. Celles-ci vont utiliser les techniques de marketing pour obtenir des labels du tourisme durable.
Les résidences de luxe sont gourmandes en consommation d’eau et d’énergie. Pour les alimenter, il faut souvent s’emparer des ressources appartenant aux habitants de la région. C’est une conséquence directe de la standardisation culturelle sur l’environnement. En outre, plusieurs projets fantômes laissent des terrains inoccupés pendant plusieurs années
Hormis l’injustice sociale, la bétonisation du littoral pose un souci du niveau des nappes souterraines. Pour rentabiliser des investissements, les promoteurs ont tendance à bâtir des lotissements gigantesques. L’érosion du sol est un risque constamment averti par les architectes passionnés.
Sur le plan économique, la bulle immobilière creuse le clivage social. La surabondance des résidences de villégiature crée la pénurie de logements sociaux, car tous les promoteurs visent le haut de gamme. La standardisation culturelle contribue indirectement à la flambée du prix des maisons.
Les inquiétudes de TTB Travel
La corruption généralisée est la cause de la standardisation culturelle du littoral. À l’échelle d’une PME, c’est impossible de combattre ce cancer sociétal. La collusion politico-économique est une puissante machine de guerre qui se sert du tourisme durable pour camoufler son ambition démesurée.
À deux reprises, TTB Travel a été utilisée comme un pion dans les calculs sophistiqués des autorités. Nous avons participé à la table ronde dans deux régions pour parler du tourisme durable. En fait, les événements furent médiatisés pour embellir l’image de la destination. Nos conseils n’ont jamais été écoutés. Dans un pays où la censure est de mise, le greenwashing est pratiqué à volonté !
La presse internationale en parle peu, car plusieurs grands groupes occidentaux sont impliqués dans les affaires. De ce fait, le public en Europe ne se rend pas compte de l’ampleur de la disneylandisation côtière. Le littoral vietnamien est beau. En revanche, il est réservé à d’autres buts que le tourisme.
Cet article fait partie de la grande thématique du tourisme responsable au Vietnam. Aux antipodes de la pensée occidentale, on vous apporte un regard inusité de l’Asie sur le sujet de durabilité. Certains points de vue sont complémentaires, d’autres sont plus divergents.